Dessiner avec la lune


Tous les mois de l’année quand elle est bien ronde,  j’ai rendez-vous avec la lune. 
À mon poste, toujours au même endroit, un appareil photographique en main, je l’observe.

Par touches et traînées lumineuses, elle révèle 
les éléments qui m’entourent. 
Je veux capter ce phénomène, chercher sa lumière pour saisir les couleurs de la nuit. 
Je rêve, me projette, joue, dessine avec elle.

Je danse en l’observant, l’objectif danse avec moi. 
 Les lignes et formes abstraites qui apparaissent sur l’image sont l’objet et le résultat de mon propre geste.

En un mouvement et qui ne dure qu’une seconde, j’explore cet espace intime dans l’infini de l’univers,  sans échelle ni mesure. 
À l’instant du déclic, une gamme de signes singuliers et poétiques se dessine.

Fixer chaque moment, d’un geste instinctif.
L'œil aux aguets, sans repères connus, mon esprit se libère. Place à l’imaginaire.


Des mots sur mes images :


La Nuit transfigurée
Tout le monde dort
Rien entre
La lune et moi *


           Dans la pénombre d’un jardin de campagne, la photographe guette au pied de deux platanes, toujours au même endroit au fil des saisons. Son regard s’égare du zodiaque au zénith avant de revenir vers les arbres qui se colorent de nuances sombres. L’astre l’entraîne. Elle balaie des yeux le cadre végétal qui s’est épaissi, les frondaisons plus légères ; le regard s’accoutume à l’obscurité, saisit nuances et brillances. Alors seulement elle cherche un angle de visée, étend le bras, propulse l’appareil ; dans ses balancements l’objectif virevolte. À l’instant choisi, en un déclic elle intercepte des représentations invisibles à l’œil nu : poussières cosmiques, filaments phosphorescents ou lignes étincelantes. Elle redessine le panorama crépusculaire, brosse à grands traits un tableau fuligineux, esquisse un buisson ardent ou des troncs charbonneux. S’introduisant parmi les ombres, les rayons d’un soir éclairent les ténèbres d’empreintes lumineuses, de fragiles lueurs happées dans le mouvement de la chambre obscure. 


           Une nuit de pleine lune, Claire a entamé un dialogue avec les paysages qui se révélaient. Envoûtée et troublée par les frémissements du clair-obscur, elle a commencé une exploration de son environnement, munie de son compact Canon G9 numérique. Le charme opérant, la confrontation s’est poursuivie pendant plus de quatre ans. 

Cinquante lunes. Cinquante nuits à l’affût. 


            La lente progression de l’artiste au cœur de la magie lunaire s’apparente à un voyage intime : la nature et ses mystères comme métaphores de l’âme, de ses tourments et de ses illuminations. 


            Les photographies en couleur de Claire, ses Dessins de lune, renvoient à d’autres univers : l’Art informel de Hans Hartung ‒ coups de pinceaux, gestuelle – ; les horizons marins de Sugimoto, contrastés, dépouillés ; les paysages à l’encre de Victor Hugo, « cette noirceur d’où sort une lumière ». Des rêves immémoriaux se glissent dans ces images au rayonnement perceptible ou caché, dans lesquelles on perçoit des accents de La Nuit transfigurée. À l’instar du compositeur, Claire a trouvé sa tonalité.




Emma Julien 


* Haïku de Seifujo                  


Claire de la lune

C’est Claire de la lune

loup-Garou des nuits folles

qui en clics croque l’astre

céleste et plein dans son bleu noir

Sans hurlement aucun.


En clignements d’œil métallique

reluque l’astre et le réforme

faisant surgir l’insaisissable

et des fantômes embusqués.

Buissonneuse des nuits

veilleuse de la lune

Claire en clics twiste l’astre

délivrant les secrets des objets nébuleux.


Ah Claire de la lune

lycanthrope des nuits globulaires

vigie de l’astre et de ses ombres

fais sortir des chambres obscures

l’invisibilité qui bruisse.


Danse sorcière sans sabbat

remue ton clic et chope l’astre

explose et bouge l’alentour

révèle de ton œil les lignes qui s’y cachent.

Joshie Ananké